Gilbert Ouellette
Le paradoxe Netflix
Dernière mise à jour : 13 mai 2019

Par Gilbert Ouellette, président du Groupe Évolumédia (Creabiz.news – 21 avril 2019)
Au cours du congrès annuel de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), le 17 et 18 avril à St-Sauveur, les références à Netflix et ses semblables et, surtout, leurs conséquences sur notre écosystème de la production et de la radiodiffusion ont été légion.
Bien évidemment, le phénomène de la diffusion de masse de contenus par contournement (OTT) n’est pas nouveau. Plusieurs rapports ou conférences auxquels j’ai été associés dans le passé en ont fait état de long en large.
Il appert toutefois que notre beau monde des contenus médiatiques québécois doit maintenant dépasser le simple constat et tenter de trouver des solutions pour, à tout le moins, ajuster ses pratiques d’affaires.
À cet effet, la « grande entrevue » avec Louis Lantagne, PDG de la SODEC, sous le titre « Chaos et opportunités : nos modèles d’affaires à réinventer » est un bon indice que les choses doivent absolument bougées.
Un visage de plus en plus québécois pour Netflix
Toutefois, d’un ennemi un peu chimérique que l’on aime détester et blâmer pour plusieurs de nos malheurs, le visage de Netflix au Québec commence à prendre une forme plus concrète dans les esprits du milieu.
C’est le cas notamment avec la nomination, en septembre dernier, de Stéphane Cardin, ex vice-président des affaires publiques du Fonds des médias du Canada. Celui-ci, « omniprésent » dans l’industrie depuis plusieurs années, ajoute certainement une dimension humaine et un caractère d’accessibilité à Netflix.
Aussi l’an dernier, Dominique Bazay, une Québécoise responsable de l’acquisition de contenus jeunesses pour Netflix, avait su capter l’attention des participants au congrès de l’AQPM. Cette année, c’est au tour de Sara May, responsable des acquisitions et des coproductions EMEA (Europe/MiddleEast/Africa) chez Netflix, de faire salle comble.
On a beau faire porter à Netflix beaucoup des chambardements de notre système, il n’empêche que bien des producteurs et productrices souhaitent, à visage ouvert ou pas, vendre leur contenu à ce nouveau major. D’autant plus lorsque Mme May nous répète que Netflix veut être active dans divers territoires, comme le Québec, en y apportant une réelle valeur ajoutée.
En cela, elle entend que le géant, dans le cas par exemple d’un projet de film relativement avancé, peut assumer en totalité ou en partie le budget de production. Sans autre formalité que l’analyse du dossier en regard des critères de la boîte.
Pour la télévision, toujours selon elle, toutes les équations sont permises. Netflix peut négocier directement avec les producteurs ou s’asseoir avec le diffuseur et le producteur pour faire en sorte que le projet puisse se faire dans des délais relativement courts.
Évidemment, s’entendre avec Netflix signifie de céder ses droits pour l’ensemble des territoires couverts par celle-ci. Ce qui veut dire en gros : le monde et toute autre planète à découvrir. Pour la durée toutefois, il semble y avoir une certaine flexibilité. Dans certains cas, on parle de 18 mois. Ce qui apparait relativement raisonnable pour une exploitation ultérieure.
En somme, plus on verra les visages de Netflix au Québec et plus certaines de nos productions seront retenues (Les Affamés, Jouer dur, Jusqu'au déclin, premier long métrage produit par Netflix), plus on a des chances de considérer cet « élément étranger » comme faisant partie de notre écosystème. Au même titre que le sont devenus illico et Tou.TV par rapport aux diffuseurs et distributeurs traditionnels.
Il restera toujours cependant le fait que Netflix ne contribue pas « directement » et de façon régulée à la production des contenus locaux. On verra bien si, avec le temps, les 500 M $ annoncés (et vraisemblablement dépensés) sur cinq ans auront le pouvoir de faire une place à ce petit nouveau dans notre grande famille audiovisuelle tissée serrée…