Gilbert Ouellette
La relève entrepreneuriale pour les industries créatives. En espérant qu’il ne soit pas trop tard
Dernière mise à jour : 6 juin 2019

À la fin mai, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et le Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) ont annoncé une « entente collaborative » pour mieux informer, sensibiliser et soutenir les entrepreneurs sur les enjeux du repreneuriat culturel.
Selon le CTEQ, dans les cinq à dix prochaines années, entre 30 000 et 60 000 entreprises québécoises ne trouveront pas de « repreneur », c’est-à-dire qu’elles mourront parce qu’elles n’auront pas été revendues.
Il faut dire que ce genre de discours un peu « alarmiste » n’est pas nouveau. Lors d’une conférence sur les M&A à laquelle j’assistais en 2018, un dirigeant d’un fonds d’investissement évoquait le fait qu’on disait la même chose il y a une dizaine d’années. Et de conclure celui-ci : « dix ans plus tard les propriétaires sont toujours en place. La seule différence est qu’ils approchent maintenant les soixante-dix ans. »
Dans ce contexte, les industries créatives ne font pas bande à part, bien au contraire. Sans les nommer, on connait tous des producteurs chevronnés dont les entreprises ont réalisé, à certaines époques, plusieurs dizaines de millions de dollars de volume de production par année. Maintenant rendus à 65-70 ans leurs entreprises n’ont pas trouvé de repreneurs et risquent de simplement disparaître avec leurs fondateurs.
Bien sûr certaines annonces récentes en M&A pourraient nous laisser croire qu’on est loin du statut quo. On a qu’à penser aux transactions entre Datsit et Oasis, TVA et Serdy, TVA et Incendo, Tinkwell et Réalisations Montréal, etc.
Un secteur où il est difficile de créer de la valeur
Au niveau des producteurs de contenu médiatique (cinéma, télévision et autres), il faut reconnaître cependant que la nature même des activités commerciales des entreprises pause un défi en soi au niveau de la valorisation des actifs.
Généralement, au Québec, on est beaucoup dans une logique de « prestataires de services » pour des « commandes » passées par des diffuseurs ou distributeurs. Et même en étant titulaire des droits d’exploitation des contenus, les producteurs se retrouvent avec presque pas d’actifs à monnayer (catalogues, IP et autres) pour des contenus généralement produits pour un marché franco-québécois relativement fermé à l’exportation.
Ajoutons à cet état de fait que les projets sont financés en bonne partie par des fonds publics (crédit d’impôt, fonds spécialisés et autres subsides) avec des règles d’attribution qui font en sorte que les entreprises doivent être contrôlées par des intérêts québécois. En soi cela peut paraître louable, mais en bout de course l’effet est de diminuer considérablement l’intérêt pour une firme « étrangère » (même de Toronto) qui verrait s’envolée une bonne part de son financement annuel.
Parce que le principe n’est pas seulement d’avoir des entreprises à « reprendre ». Il faut aussi qu’il y ait sur le marché des « consolidateurs » avec un accès à du financement patient et une vision de développement sur quelques années, autant sur le plan national qu’international.
Mettre de l’ordre dans ses affaires
Du côté d’un vendeur potentiel, il faut par ailleurs comprendre que le processus de se mettre éventuellement sur le marché est quelque chose qui se prépare plusieurs années avant la date de transaction. Que ce soit la vente à des financiers, compétiteurs ou à une relève à l’interne, l’entreprise devrait adopter des pratiques et des processus de gestion qui permettent de mettre de l’ordre dans ses affaires.
Des états financiers trimestriels, une convention entre actionnaires, une bonne gouvernance par l’entremise d’un conseil d’administration ou un comité consultatif, des chaînes de titres clairs, une gestion de projets structurée, sont autant d’éléments positifs qui facilite une revue diligente rapide quand vient le temps de « closer ».
Aussi, l’importance d’avoir recours à un intermédiaire devrait être fortement valorisée. Il faut arrêter de penser que parce que l’on connait tout le monde dans le milieu, on est capable de faire les bonnes approches et de bien négocier les termes d’une vente ou d’une fusion. Lorsqu’on a passé 20-30 ans de sa vie à bâtir son entreprise, il se peut que la « dimension émotive » vienne brouiller son jugement lors d’une transaction.
Bref, ce dossier du repreneuriat culturel mis de l’avant par la SODEC et le CTEQ est certainement une bonne chose. J’ose penser qu’il n’est pas trop tard pour bon nombre d’entrepreneurs du secteur. Beaucoup d’entre eux le sont devenus souvent malgré eux avec l’ambition première de livrer, bon an mal an, de bons projets de contenu plutôt que de se demander comment leur entreprise pourrait un jour leur survivre…