- Gilbert Ouellette
Contrer la dégradation du marché domestique
Dernière mise à jour : 15 août 2019

Par André Provencher, Expert-conseil, Médias et industries créatives
Créabiz 15 août 2019 - Le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ) confirmait la semaine dernière la planification de nouvelles interventions favorisant la croissance des tournages étrangers au Québec. Il vise d’abord la bonification des mesures fiscales pour encourager le choix des régions comme lieux de tournage. Du même coup, le BCTQ a dévoilé son intention de convaincre Netflix de pourvoir Montréal d’un studio, à l’instar de Toronto et Vancouver. Deux projets dont les incidences économiques sont aussi évidentes qu’importantes, mais dont l’impact sur l’industrie locale de la création et de la production parait plus incertain.
Coïncidence un peu ironique, la nouvelle est tombée le même jour où la productrice Fabienne Larouche rappelait dans les pages de La Presse + son plongeon dans le domaine de la production audiovisuelle. Nous sommes en 1999 et Aetios vient de se voir confier par TVA la production de la série Fortier. Déjà une figure bien en vue de la fiction francophone, Fabienne Larouche s’était surtout fait remarquer jusque là comme une auteure de grand talent, à travers des séries comme Lance et compte, Scoop et Urgence, notamment.
La première expérience d’Aetios comme productrice représentait un défi de taille. TVA avait défini une limite de 850 000 $ pour le budget par épisode, une diminution d’environ 15% par rapport à la « norme » prévalant à l’époque pour les séries lourdes. La commande n’est pas tout à fait passée comme une lettre à la poste, mais Fabienne Larouche a finalement accepté de bonne grâce de s’y soumettre. Et elle a offert aux Québécois l’une des séries dramatiques les plus réussies et les plus mémorables de l’histoire de la télévision francophone.
Je dois confesser que j’étais aux commandes de la programmation de TVA lorsque cette limite budgétaire fut décrétée. Les aspirations des séries dramatiques francophones se heurtaient de plus en plus à une réalité démographique contraignante, de même qu’à un marché publicitaire aux tendances défavorables.
Fortier fut tournée en 1999, il y a exactement 20 ans. Je n’ose pas croire que se soit amorcée sous ma gouverne la dégradation continue des budgets alloués aux séries dramatiques dites lourdes. Mais le mouvement n’a eu de cesse depuis et la situation frôle aujourd’hui le désespoir. En suivant simplement le cours de l’inflation, le budget de Fortier aurait été cette année de 1 250 000 $ par épisode. Or les nouvelles limites fixées par les chaines francophones, à leurs corps défendant faut-il le préciser, n’atteignent même pas 50% de ce montant. Un état de misère s’installe à un moment qui ne pourrait être plus mal choisi, alors que les auditoires sont sollicités par des séries étrangères disposant de ressources 3 à 10 fois supérieures. De plus, les positions de défense du territoire érigées historiquement par le star system québécois sont devenues friables, particulièrement chez les jeunes, qu’on dit plus ouverts sur le monde. Bref, la production de séries dramatiques doit cesser de dépérir et on doit lui injecter sans délai de bonnes doses de vitamines. La barre des ambitions doit être relevée au moins à la hauteur du talent créatif et du savoir-faire de production résidant au Québec, ce qui en soi est plus simple à dire qu’à faire.
Se mettre en mode alliance
L’internationalisation apparait aujourd’hui comme une voie privilégiée pour redonner un élan aux productions audiovisuelles francophones. Il faut certes se lancer dans cette direction, mais comment et à quel prix ? Des conditions préalables sont requises et il est grand temps de voir émerger des stratégies et des actions auxquelles adhèrent conjointement les principales parties prenantes de notre système, diffuseurs, producteurs, auteurs, concepteurs, artistes, artisans, gouvernements et agences de financement. Si dans la plupart des pays du monde on choisit de se mettre en mode alliance pour faire face à la concurrence mondiale, il serait illusoire de continuer à avancer au Québec dans un ordre dispersé.
Ce qui ramène mon propos au BCTQ, officiellement gestionnaire de la grappe industrielle de l’audiovisuel au Québec. Il serait souhaitable qu’il témoigne du même enthousiasme et de la même détermination envers la consolidation et la croissance du tissu industriel de la création et production francophone qu’il en démontre à l’endroit du développement des tournages étrangers. L’incidence économique est du même ordre, mais les avantages culturels sont infiniment plus probants.
Ceci dit, les tournages étrangers ardemment convoités par le BCTQ ne s’opposent nullement à la revitalisation budgétaire des séries dramatiques francophones, et à l’impulsion vers de nouveaux sommets d’ambition créative. Mais elles n’ont pas non plus d’effet de substitution. L’activité audiovisuelle québécoise doit tourner autant, sinon davantage, autour d’une économie de propriétaires plutôt que de locataires. Plus qu’un lieu de tournage, le Québec est un espace de création à préserver, à stimuler, à faire briller, à faire croitre et à faire rayonner.
Le gouvernement britannique a mis en place au début des années 2000 un modèle d’économie créative très innovant qui place aujourd’hui le pays parmi les chefs de file de l’activité mondiale. Le concept fut parfois âprement contesté pour son adhérence capitaliste et économique, mais il n’en demeure pas moins un point tournant dans la vitalité culturelle du Royaume-Uni. Conçue à des fins de régénérescence économique et de stimulation de l’emploi, la politique des industries créatives mise en œuvre par le gouvernement britannique en 2003 répondait à la définition suivante : « Ces industries qui trouvent leur origine dans la créativité individuelle, la compétence et le talent, et qui ont le potentiel de soutenir la croissance et la création d’emplois à la travers le développement et l’exploitation de la propriété intellectuelle.
L’approche britannique a fait école dans de nombreux pays. En Corée du Sud notamment, mais aussi dans de plus petites économies comme la Hollande et l’Islande. Le moment est venu au Québec d’oser davantage, d’allier les talents et les forces, d’être plus compétitif sur le marché mondial, tout en étant plus soucieux de l’énorme valeur économique et culturelle que représentent la création et la propriété intellectuelle.
Le temps presse.